La technique Mon-Mandala® de Kyogen : préserver l’artisanat japonais grâce au designLa technique Mon-Mandala® de Kyogen : préserver l’artisanat japonais grâce au design

La technique Mon-Mandala® de Kyogen : préserver l’artisanat japonais grâce au design

Des milliers de lignes entrelacées s’assemblent pour former une image unique, évoquant un univers d’une précision infinie. C’est Mon-Mandala®, une forme d’art née de la rencontre entre le savoir-faire artisanal japonais et les outils numériques modernes. Derrière ces œuvres se trouvent Shoryu Hatoba et son fils Yoho, maîtres monsho uwaeshi de l’atelier Kyogen, spécialisés dans la peinture des kamon (armoiries familiales) sur kimono. Pendant des années, ils n’ont utilisé que des outils traditionnels, jusqu’à ce qu’un tournant survienne il y a 15 ans, lorsqu’un client leur demanda de livrer un kamon sous forme de fichier Adobe Illustrator.

Yoho, qui a appris Illustrator en autodidacte, a perçu rapidement le potentiel du logiciel pour la conception des kamon. Son père Shoryu s’y a essayé également, mais a rencontré des difficultés à tracer des courbes. Il a décidé alors d’expérimenter en utilisant un segment de cercle parfait. Par hasard, cela a fait apparaître des motifs d’une finesse inattendue—des détails qui n’auraient jamais existé avec un dessin à la main. Le format numérique permit de préserver ces formes accidentelles, donnant naissance à un tout nouveau mode d’expression.

La technique Mon-Mandala® de Kyogen : préserver l’artisanat japonais grâce au design
À gauche : la courbe subtile du cou de la grue dépasse ses limites initiales, donnant l’impression d’ailes en mouvement. À droite : dans les motifs plus complexes, les lignes superposées créent une profondeur et des nuances de contraste.


Les kamon japonais ont toujours été conçus exclusivement avec des cercles et des lignes. Mon-Mandala® suit cette même logique, mais grâce aux outils numériques, il permet désormais des motifs plus complexes et variés.

À première vue, certains éléments semblent avoir été esquissés à l’avance. Pourtant, chaque forme est en réalité composée de segments de cercles, et c’est l’accumulation de ces lignes qui crée une impression de relief et de profondeur, attirant le regard du spectateur au cœur de l’œuvre. Yoho décrit ce phénomène comme « une véritable illusion d’optique », tandis que Shoryu explique : « les formes issues du cercle touchent quelque chose de profondément instinctif en nous, presque comme si elles résonnaient avec notre ADN. »

Depuis des années, Shoryu s’inquiétait de l’avenir de son métier, pressentant que la seule peinture de kamon sur kimono ne suffirait pas à pérenniser l’artisanat. Mais il voyait aussi un potentiel inexploité dans le design des kamon. La découverte du Mon-Mandala® à travers le numérique a fait alors une révélation, lui ouvrant la voie d’artisan à artiste. Yoho, fasciné par la richesse et la complexité du design numérique, partage cet enthousiasme : « J’ai compris que cette approche pouvait permettre de transmettre les kamon aux générations futures. »

La technique Mon-Mandala® de Kyogen : préserver l’artisanat japonais grâce au design
À gauche : reproduction de Meikaku zu (Grue), une peinture du XIVe siècle attribuée à Bunsei, réalisée en combinant la technique Mon-Mandala et le dessin traditionnel—la première incursion de Yoho dans la peinture japonaise (Nihonga). À droite : Ukiyo-e Mandala, une œuvre hybride mêlant dessin numérique et traditionnel, où les estampes de l’époque Edo ont été recréées uniquement avec des cercles et des lignes.


L’expansion des possibilités offertes par le numérique a aussi permis à Kyogen de collaborer avec de grandes marques. Shoryu a notamment conçu des motifs pour Yohji Yamamoto, une marque qu’il affectionne depuis longtemps, tandis que Yoho a réalisé un kamon original pour Ferrari, réalisant ainsi un rêve d’enfance. Ensemble, ils ont également créé des étiquettes pour la prestigieuse maison de champagne française Duval-Leroy.

Aujourd’hui, le duo père-fils entend contribuer à la revitalisation de l’artisanat japonais par le design. Si les défis sont nombreux, notamment le manque de relève dans les métiers traditionnels, ils savent que le Japon regorge d’artisans talentueux dont le travail mérite une reconnaissance mondiale. À l’image des kamon, longtemps négligés mais désormais appréciés comme un élément essentiel de l’esthétique japonaise, ils sont convaincus qu’une touche de créativité et d’innovation peut provoquer des transformations majeures et faire rayonner l’artisanat japonais à l’international.

En revenant sur leur parcours, Shoryu et Yoho soulignent que chaque opportunité qui s’est présentée à eux est née d’une rencontre, d’un “en”—ce concept japonais du destin et des liens entre les individus. Alors qu’ils poursuivent leur exploration artistique en restant fidèles à ces connexions humaines, leur avenir semble appelé à se déployer comme leurs Mon-Mandala® : couche après couche, dans une richesse et une profondeur toujours croissante.

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En 2025, Kyogen célèbrera son 115e anniversaire. Sur la photo : Shoryu Hatoba (à droite) et Yoho (à gauche), représentants de la troisième génération de l’atelier. Derrière eux, l’œuvre Ryuhobyo, réalisée avec des rivets de tambour et représentant un dragon et un phénix, en référence à leurs propres noms.