En quête d’innovation, tout en préservant les traditions
2023.03.31
LIFEL’entreprise Marukyu Shoten, négociant spécialisé dans la technique de teinturechusen, a été établie en 1899.
Cette méthode de teinture unique au Japon est utilisée pour décorer les serviettestenuguiet lesyukatas(kimonos légers portés en été), et permet de colorer en une fois plusieurs dizaines de couches de tissu. Elle était déjà pratiquée vers la fin de l’époque Edo (1603-1868).
Dès ses débuts, Marukyu Shoten agissait comme un médiateur entre les fabricants de tissu, les dessinateurs et les teinturiers. Il semble qu’elle créait aussi ses propres motifs et planifiait les productions. Il reste malheureusement peu d’archives détaillant les activités de l’entreprise à l’époque, car presque tout a brûlé lors du grand séisme du Kanto en 1923.
Malgré cela, Misako Saito et Takashi Yamauchi, qui ont repris l’affaire familiale après quatre générations de commerçants, ont retrouvé des notes et des échantillons de tissus teintés datant des années 1945 à 1964, ainsi qu’un catalogue des motifs proposés par la maison débusqué dans une boutique de livres anciens. Sur la base de ces informations, ils se sont efforcés de retracer le fil de leur histoire interrompue.
Tous deux diplômés de l’Université des arts de Tokyo, ils s’attachent à perpétuer la tradition de leur artisanat. Ils ont aussi créé leur propre marque de fabrique « TEWSEN », qui fait découvrir la teinture chusen sous un nouveau jour.
La techniquechusenimplique un artisan spécialisé différent pour chaque étape.
La première consiste à dessiner les motifs à l’aide d’une pâte à base d’amidon sur une toile de coton blanc préalablement enroulée uniformément. En fonction du dessin, l’artisan ajuste la consistance de la pâte, qui empêche ensuite la teinture de pénétrer dans le tissu aux endroits où elle est appliquée.
Après cela vient l’étape de la teinture. Le termechusensignifie littéralement « teinture versée ». Le colorant est effectivement versé sur le tissu à l’aide d’une sorte de burette appeléeyakan. Le principal atout de la méthodechusenest la possibilité d’appliquer plusieurs couleurs en même temps sur le tissu, une caractéristique unique. Pour que la teinture imprègne bien le tissu, une pompe à vide est placée dessous. Le tissu est enfin lavé pour retirer la pâte d’amidon, puis séché, avant les finitions.
Les produits ont un charme que seul le travail manuel sait donner avec des dégradés de couleurs ou de nuances et un rendu légèrement estompé. La teinturechusenégaye de ses jolis motifs les spectacles et les fêtes japonaises depuis bien longtemps.
Pour cette œuvre collaborative à l’occasion de l’exposition Edo Tokyo Rethink 2023, l’un des motifs choisis par Noritaka Tatehana est le papillon, inspiré par la chanson Ame-no-goro, qui accompagne les danses traditionnelles japonaisesnihon-buyo, et raconte les aventures de Goro dont l’habit est décoré de papillons. L’artiste y a associé ses thèmes originaux du nuage et de l’éclair. La pièce est exposée à proximité de la porte Kara-mon, sur la petite colline du Fujimi-do (littéralement, le temple d’où l’on peut voir le mont Fuji). Avec la légère brise printanière, on croirait que les papillons vont s’envoler dans le ciel bleu.
La deuxième réalisation collaborative fait appel au motif traditionnel du célèbre quartier des plaisirs de Yoshiwara pendant l’époque Edo, que l’artiste a déstructuré et associé à ses thèmes récurrents du nuage et de l’éclair. Il a fallu trouver le bon équilibre pour ne pas trop espacer les éléments du dessin et bien représenter la continuité des lignes tout en donnant une impression de profondeur à l’ensemble. Pour Noritaka Tatehana, ce procédé a été une façon d’exprimer une atmosphère qui n’aurait pas pu être transmise en peinture.
« La teinturechusensert généralement à colorer des serviettes, c’est-à-dire des objets utilisés au quotidien. C’était donc la première fois que nous étions impliqués dans la fabrication d’une œuvre d’art qui serait appréciée par un public, et cette approche était rafraîchissante. Nous aimerions continuer à explorer de nouvelles façons de valoriser la techniquechusen, comme nous avons pu le faire dans le cadre du Projet Edo Tokyo Kirari, en travaillant avec d’autres personnes au Japon et à l’étranger. » (Misako Saito)
« Nos artisans ont consacré énormément de temps et d’efforts à créer cette œuvre collaborative, car le défi repoussait nos limites. Mais le résultat est un concentré de toute la sophistication de la techniquechusen, et le projet a significativement élargi nos possibilités d’expression à travers cette méthode de teinture. » (Takashi Yamauchi)
Misako Saito a repris l’entreprise familiale il y a une dizaine d’années à peine, et nos deux teinturiers devraient avoir encore de nombreux défis à relever.
Photo by GION
Special Movie
Noritaka Tatehana x Shin Edozome Marukyu Shoten
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